Népal Everest "Altarea" du 4 avril au 2 juin 2008 | Page 11

 

J45 Dimanche 18.05.08

 

Le péril jaune est en marche

 

C2 (6350m)
Le soleil se fait attendre et le froid engourdit tout. Un coup d'oeil par l'ouverture de la tente, les minuscules tentes sur cette face du Lhotse, la trace pleine de fourmis laborieuses que nous serons demain qui va au col sud même la trace qui bifurque vers le sommet du Lhotse - il a été gravi hier paraît-il c'est beau même si c'est dur.
A 15/16h nos sherpas reviennent du col sud, partis à 4h. Nima s'est senti mal et ils n'ont pas monté la tente au col sud, il l'ont laissée au C3. Ils la monteront après-demain quand nous rejoindrons ensembles le col sud, le hic c'est que après-demain c'est le 20 et que la mauvaise météo semble confirmée par d'autres sources...
La mousson montrerait-elle le bout de son nez ? Bloody chinetoques qui nous ont mis en retard ! Le péril jaune redevient d'actualité.
Le dernier bulletin météo de notre routeur français Thomas par l'intermédiaire d'un message de Jacqueline Lubin sur le téléphone satellite est en complète contradiction avec les précédents, la fenêtre serait les 20 et 21, les dates mêmes où était prévue la neige !
C'est bien les météos qui s'annulent, finalement nous tenons compte de rien et suivons le programme fixé.

 

Les minuscules tentes sur la face du Lhotse et la trace pleine de fourmies laborieuses

 

J46 Lundi 19.05.08

 

Les nuages sont l'âme des montagnes, le vent est leur souffle.

 

C2( 6350m) C3(6950m)
Réveil 4h30 départ 6h.
Aujourd'hui est un grand jour nous montons dormir au C3 et n'en redescendons pas sans avoir essayée la déesse mère du monde avec sa permission bien sur, elle nous domine et nous impressionne encore tellement. Ca fait si longtemps qu'on attend ça, qu'on la courtise la haute dame !
En montant au sommet de ce long C2 qui s'étire je me dis que ce serait un programme bien progressif de faire une halte au C1 et d'aller faire un camp 2 tout en haut c'est large et plat et loin de la face, ça présente aussi l'avantage d'être à moins d'une heure de la face du Lhotse. Bref, ça m'étonnerai que je revienne pour mettre en place un tel programme... Nous montons régulièrement à un rythme correct, l'acclimatation fait son effet, mais en arrivant sous la face nous sommes cueillis par un vent d'enfer qui nous glace car nous n'avons que la tenue alpine, ayant laissé la tenue duvet au C3, une bonne occasion de tester la qualité des chaussures et des moufles, mais un peu froid aux fesses dans nos petits pantalons monocouche des Alpes.
Heureusement nous arrivons à midi au C3 et avons le temps de nous refaire une santé. Nous testons les 4 bouteilles d'oxygène qui se trouvent au C3, deux sont à 30 l et 2 à 25 l sur 40 l...Des restes d’autres expéditions je suppose, ce qui suffit pour le camp 3, dommage, une bouteille pleine est restée au camp de base.
Je crois que Nima a un peu de mal à faire des 1700 m entre 6300 et 8000 avec un sac de charge. C'est vrai que c'est un peu fou, mais rien ne les empêchait d'équiper les camps progressivement. A leur décharge il y a eu ce contretemps chinois. Bref on s'adapte... Appel téléphonique de Marc Lubin pour éclaircir la météo, en effet notre routeur météo confirme bien une fenêtre de calme à partir de demain (mardi 20/05) à 18h pendant 40h ce qui nous arrangerait bien si cela se vérifiait.

 

M : 700m -160m/ h
D : 70m
Tps : 6h
Pouls : 60/122/145
Sous toute réserve car la ceinture donne des valeurs fantaisistes. J'aurais dû changer la pile en même temps que celle de la montre. De plus elle descend avec le sac à dos et se déconnecte... Pas évident.

 

Anne Garance dans notre tente au C3

 

 

 

Combe ouest, camp 2 et Pumori vus du camp3

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Grand jour ! Anne Garance au départ du camp3...

 

J47 Mardi 20.05.08

 

Etait-ce bien raisonnable ? Et contrairement à une pensée gaullienne les chemins escarpés ne sont pas toujours les moins fréquentés.

 

C3 (7150m) C4 (7960m) et début de l'ascension jusqu'à minuit...

Nous avions prévu de partir à 5h finalement nous partons à 6h. Je suis réveillé depuis 3h30, mais j'ai laissé dormir la petite marmotte qui est à mes côtés, et les préparatifs sont longs. Pour notre deuxième nuit au-dessus de 7000m ça ne se passe pas trop mal... Toujours cette angoisse d'entrer dans la « dead zone » (c'est plus impressionnant en anglais), mais finalement nous n'utilisons pas l'oxygène qui était prévue pendant la nuit.
Par contre à l'effort au delà des 7200m, c'est une autre paire de manches. J'ai parlé avant du poisson hors du bocal dans la zone des 5/6000, ici c'est le supplicié à qui l'on fourre un mouchoir dans la bouche tandis qu'on lui pince le nez ! La sensation d'étouffement et d'une respiration haletante qui ne suffit plus aux besoins arrive immédiatement comme une détresse.
Au début seule AG porte le masque (il faut porter la bouteille qui pèse 4kg dans son sac) et je grimpe sans, puis très vite je comprends que je ne suis pas venu faire un Everest sans oxygène et que tant qu'à porter une bouteille autant l'utiliser. Et l'Everest sans oxygène c'est une chose à prendre très au sérieux d'ailleurs tous les sherpas l'utilisent à partir du col sud, et même la nuit. Au début, le réglage du débit nous a posé quelque problèmes : il faut donner assez de débit pendant l'effort sinon on a envie d'arracher le masque pour reprendre sa respiration (il y a 4 niveaux avec les intermédiaires, 2 à 3 pendant l'effort c'est un bon compromis)
On démarre, il y a un monde fou, on est en plein paradoxe : un des endroits au monde dans les plus difficiles, les plus sauvages, les plus violents, les plus dangereux et les plus chers, avoir comme ça des représentants du monde entier à la queue leu leu sur les cordes fixes dans cette raide face du Lhotse, il y a de quoi se poser des questions sur la nature humaine. Difficulté et affrontement nous attirent, ici on arrive vite au moment où la moindre force s'échappe de votre corps on s'assied au milieu du chemin et l'on s'endort; est-ce cet accès au corps simplifié que l'on vient chercher ici ?
On est là avec nos groins et il ne fait pourtant pas un temps de cochon, à marcher vers le même but, le fameux col sud. La pente soutenue (35/40°) est en glace vive ce qui rend difficile la pose des pieds nous oppose une forte résistance et plus l'air s'allège plus le corps s'alourdit. Je vois encore cette étrange caravane de bibendums multicolores méconnaissables et silencieux, dont émane de temps à autre quelques souffles rauques de yaks à travers le masque, s'étirer lentement, pendue à son fil d'Ariane en contre jour sur les arêtes aplaties du Lhotse. A gauche peut-être un peu de répit, la traversée du grand couloir au bout de laquelle on aborde la bande de rochers ocre.
Pendant cette montée, pris de remords, je me dis que je ne dirai presque (restons prudent) plus jamais de mal des sherpas de l'Everest. Eux n'utilise l'oxygène qu'à partir de 8000, et portent le matériel collectif, tentes, réchauds, vivres, oxygène, des sacs de 30kg dans l'oxygène rare, chapeau ! En ce sens notre "exploit" est subordonné à la présence de ces "hommes de bât" je ne l'oublie pas... Et les grands himalayistes s'étendent assez peu sur le sujet : la part d'autonomie. Il est certain que s'il n'y avait pas cet énorme service : fil d'Ariane du camp de base au sommet, camp de base avancé avec cuisine, portage, oxygène etc. nous n'en serions pas à 3000 ascensions et 300 de plus chaque année. Cela dit, même dans ces conditions optimales, cela reste à la limite des possibilités physiques d'un sportif de bon niveau.
Nos deux sherpas nous ont doublé juste après le départ du C3 et nous attendent au C4. Nous continuons notre progression lente et régulière, nous sommes partis un peu tard ce qui nous laissera peu de repos au C4. Après la bande de rochers jaunes particulièrement essouflante avec les crampons, une nouvelle bande de neige bien raide sous le dernier camp du Lhotse et traversée de l'Eperon des Genevois et un replat le tout dans la caillasse mènent au camp que nous atteignons à 18h.
Nos sherpas Nima et Ang Tsering ont tout préparé eau chaude, soupes, etc... Il nous reste 3h avant de partir pour le sommet, 1h est consacrée à se réhydrater et à se restaurer, les 2 autres à dormir sous oxygène. Bien qu'étant à 8000, ça a été un moment très agréable, l'oxygène en effort c'est indispensable et au repos c'est régénérateur, cela provoque un sommeil léger peuplé de doux rêves.
Nous sommes tous les 4 pèle-mêle dans la tente, nous tenant chaud, bienheureux, l'air naturel manquant, de respirer notre air en bouteilles. Merci à nos sherpas d'avoir porté 14 bouteilles à 8000m. Moment agréable et trop court... à 21h encore à mes rêves je saute sur mes crampons dans un état second toujours le masque sur le nez, le ciel est clair, la lune est pleine et il ne fait pas très froid. Et c'est à nouveau la longue caravane de lucioles muettes qui, groin sur le nez et poignée branchée, remonte dans la nuit claire et douce les cordes qui mènent au sommet, tout d'abord dans la raide face sud plutôt caillouteuse cette année. Ensuite, par une traversée ascendante à droite, on rejoint la superbe et aérienne arête sud a l'endroit nommé "Balcony" par les sherpas.
Je marche, plutôt endormi, dans les pas d'Anne Garance que nous avons "coincée "entre Ang Tsering et moi. Un peu avant nous avons regardé au manomètre et avons considéré que ma réserve devait être suffisante mais peu avant le Balcony j'éprouve soudain une immense difficulté à suivre. La source est tarie, la bouteille est vide, c'est l'étouffement insupportable, plus de jambes. C'est le propre du précieux gaz quand on le respire au-delà de 8000m, rien ne paraît luxueux, mais si l'on en est tout à coup privé il faut cesser tout effort au risque de le payer cher. Heureusement, la "station service" du Balcony arrive, les sherpas sortent de leurs sacs des bouteilles pleines et nous les échangent. Et ce n'est que" pfuuiit"t qui fusent dans la nuit claire et douce et nous ramènent aux réalités, nous sommes bien sur l'arête sud de l'Everest à 8250m et il est minuit et la fête continue...
Tps : 11h53 pour le C4 et 3h avant minuit pour le "Balcony"
M : 847m-120m/h sous o2

 

Montée raide dans la face glacée du Lhotse