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J16 Samedi 19 /04 /08

 

Gorashep (5100) Kalapatar (5550m) Gorashep

 

La butte en terre la plus fréquentée …

 

T° sous la tente : -8°C

Pression : 543mb

Tous les matins 1/2h avant qu'ils n'apportent le thé, je me rends en cuisine pour mon café au lait. Ce sont de froides cabanes en pierres au sol de terre battue ouvertes à tous les vents, l'air est froid, mais le climat est chaleureux.

Ils sont tous là serrés les uns contre les autres, recherchant la chaleur pour ceux qui dorment encore, les autres s'affairent au milieu d'un désordre incroyable où chaque chose est à sa place.

Montée progressive au Kalapatar d'où l'on a une vue sur le véritable village de tentes qu'est le CB et sur la non moins impressionnante cascade de glace où l'on voit aux jumelles des cordées évoluer dans un labyrinthe inimaginable.

Pression atmosphérique au sommet du Kalapatar à 5550m : 513mb, 500 de moins qu'au niveau de la mer !

 

 

 

M / D : 400m

Tps : 4h

Pls :65/111/144

 

J17 Dimanche 20/04/08

 

Gorashep (51 0 0m) CB( 5300m)

 

On se retrouve... seuls.

 

Première nuit en lodge, les tentes ont été portées au CB, T° plus clémente : +8°

Pouls de repos : 56

Aujourd'hui nous quittons les trekkeurs qui redescendent en 3 jours à Lukla, et nous allons nous installer au CB.

Au lodge c'est les préparatifs, un dernier souffle de chaleur humaine autour du poêle avec mes amis sherpas et kitchen boys que je ne vais plus revoir, toujours là pour vous renvoyer une image positive et une amitié sincère sans se connaître vraiment.

Ce trekking d'acclimatation est proche de la perfection pour ce qui est de la progression en altitude pour une personne qui s'acclimate facilement (cf. graphique en fin de carnet)

A l'aube de se frotter à la plus haute des montagnes tout est en ordre... Excepté cependant les télécommunications : après avoir buté sur des échecs successifs pour envoyer des courriels avec mon téléphone satellite, je me trouve privé de toute possibilité de communiquer avec ma carte SIM Orange après avoir rechargé la carte SIM Thuraya acheté par l'organisation de l'expédition. Conclusion : je vais payer mon forfait pro Orange (46€) pendant 2 mois sans pouvoir l'utiliser, être empêché de communiquer avec famille et amis pendant 2 mois et ne plus avoir les messages de ceux qui essayent de me joindre en France, tout ça pour avoir gracieusement prêté mon téléphone... Il y a de quoi être un peu fâché non ?

Passons ! tout finit par arriver et l'heure des adieux aussi, dans la cour du lodge, étreintes, accolades, larmes, chacun poursuit sa route et un grand vide se crée.

Trek fini, direction le camp de base de l'Everest. Pascal m'a gentiment laissé deux romans sud- américains qui ont l'air très bons, c'est une future réserve de plaisir et je me trouve avec une belle pile de bouquins dans ma nouvelle maison, la tente du camp de base.

En route vers le camp de base, petite balade de 2h à travers les montagnes de cailloux. Arrivés là le spectacle est saisissant, nous trouvons un véritable village de toiles avec ses chemins, ses murs en pierre, ses chortens et ses drapeaux à prière. Nous sommes tout au bout du camp près du départ de la cascade de glace et pour donner une idée des dimensions du camp il nous faut 15 mn pour le traverser.

Et nous voilà en tête à tête avec Anne Garance, ça fait bizarre…

Il faut dire que l'on est de vrais coqs en pâte dans un camp 3 étoiles à + de 5000m d'altitude sur un monceau de pierres et de glace.

Un cuisinier, un sherpa et un kitchen-boy sont là depuis 40 jours et ont préparé un camp tout confort : grande tente, salle a manger chauffée au gaz et éclairée au groupe électrogène, chacun notre tente, copie chinoise de la north face VE 25 avec isolant mousse au sol + matelas mousse, petite cuisine en pierres, tente toilette, tente douche, etc. Enfin nous voilà bien installés pour quelques temps dans des conditions optimales, il faut ça car le CB est haut et assez dur à vivre même si j'ai pu aller y faire ma toilette en cassant la glace en pleine journée.

Dès notre arrivée la consigne est passée : téléphones satellite interdits jusqu'au 10 mai. Le comble ! Je ne peux pas utiliser le mien comme je voudrais et je risque de me faire prendre. Je ne peux même pas envoyer de SMS avec le système Thuraya... Pas content mais cocu !

A mon arrivée je me retrouve sous la tente cuisine à siroter le thé avec les sherpas d'altitude tous mieux fringués que des guides, c'est vite devenu la caste de l'Everest business. Le calendrier tibétain est consulté pour la « puja » cérémonie pour inspirer la clémence des dieux, des offrandes sont prévues sous forme de bières, biscuits et chocolat. Ang Tsering a même tapé dans mes vivres d'altitude. Juste retour des choses je me suis payé en tapant sans le savoir dans la réserve de bières des dieux ! On verra si ça porte malheur !

 

 

Dans l'après-midi je me familiarise avec l'oxymètre, engin délicat à utiliser avec des valeurs très fluctuantes prendre la mesure sur le même doigt et de la même façon.

 

 

 

M : 248m - 240m/h

D : 83m - 300m/h

Tps : 2h10

Pls :82 /119/142

 

 

J18 Lundi 21/4/08

 

CB (5350m)

 

Ne jamais provoquer les militaires, ils ne connaissent qu'un degré, le premier.

 

T° : -9° Pression : 531mb

Saturation : 95/99

Aujourd'hui repos et préparation du matériel.

La première cuisine construite par les pionniers du camp est envahie par les eaux. Notre équipe va refaire un terrassement à cet endroit pour remonter le niveau et y placer la tente mess plus proche ainsi de la nouvelle cuisine.

Vérification et mise au point du matériel : crampons, baudriers longes, chargement, réglage et distribution des radios.

Attention ! il ne faut pas plaisanter avec l'armée népalaise : un utilisateur de télephone satellite et des Américains pas très malins exhibant une banderole "Free Tibet fuck chineses" se sont fait renvoyer dans leurs foyers.

Anne Garance pas très bien aujourd'hui passe son temps dans la tente. Il faut bien dire que les agressions à la fois du froid, de l'altitude et les changements alimentaires (mon cher Watson) sont difficiles à encaisser pour l'organisme quand à cela s'ajoute la solitude, le moral fait des hauts et des bas...

Pendant ce temps je fais une petite reconnaissance jusqu'au départ de l'icefall. Toujours impressionné par la forêt de tentes et de drapeaux à prière jusqu'à l'infini au milieu d'un dédale de rochers de glace et de lacs gelés et ces montagnes démesurées qui nous entourent éclairées par les soleils du matin et du soir, écrasées de lumière la journée, tout cela contribue à créer un climat surnaturel et on se demande parfois ce que l'on vit. Etre empêché de communiquer sur l'extérieur pendant 20 jours accentue encore cette sensation d'isolement au milieu de la foule.

Anne Garance très mal au dîner finit par tout vomir et se sent mieux après.

 

J19 Mardi 22/04/08

 

CB (5350m)

 

J'ai pas d'apôtre, j'ai pas de croix, je crois en l'autre, je crois en toi… (Claude Nougaro)

 

Sat matin: 95

T° : -9° Pression : 532mb

 

Aujourd'hui c'est la puja. Chaque expédition construit son autel en pierre et un lama vient pour la cérémonie. Offrandes et bénédiction du matériel, ensuite sont installés les drapeaux à prières en étoile tout autour du mât central de l' autel si bien que l'on pourrait compter les expéditions en comptant les autels.

Tout un tas de friandises ont été regroupées, l'autel est entouré de canettes de bière San Miguel. Mais quel est donc ce saint Miguel qu'on vénère tant ? Le dieu du houblon peut-être.

Le lama qui est aussi sherpa à ses heures - il faut bien vivre - psalmodie les textes sacrés qu'il lit sur ses feuillets et de temps à autre on fait tourner les friandises et les boissons, on lance du riz vers l'autel au signal du dévot. La farine d'orge bénit chaussures et crampons, nous héritons tous d'une poignée de riz béni et les bières et les victuailles tournent pendant que les drapeaux à prières sont installés. Les nourritures terrestres auront été équitablement partagées entre hommes et dieux et la cérémonie se termine en fête.

Le bouddhisme n'est pas une religion de la souffrance.

Ma contribution 1500 Rpies pour le lama et 2000 Rpies pour les victuailles.

 

Je conclurai par la parole de Georges : "je ne crois pas un mot de toutes ces histoires, mais j'envie les simples d'esprit pouvant y croire".

 

J20 Mercredi 23/04/08

 

CB (5350m) C1 (5950m) CB (5350m)

 

L'enfer est voisin du paradis.

 

A 4h du matin, lorsque je me rends en cuisine pour mon rituel café au lait, l'ambiance est presque rassurante, le temps est superbe, la pleine lune éclaire le camp bercé par le ronron régulier des groupes électrogènes et une chenille de lucioles s'étire dans la cascade de glace.

Là je fais pour les allergiques au franglais, mais c'est impropre de traduire icefall par cascade de glace, ce n'est pas une cascade de glace, mais une chute de séracs, bien que je sois plus sensible habituellement aux chutes de reins, celle-ci, malgré les apparence ne me laisse pas... de glace.

Anne Garance a dû avoir une panne d'oreiller ce matin, il faut que j'aille la réveiller !

Nous démarrons avec Maïla le cook du camp 2 et très vite Anne Garance ne se sent pas bien, elle couve depuis 2 jours des problèmes de foie, je la raccompagne un petit bout et elle me laisse repartir seul pour une reconnaissance.

Alors là les amis ! l'icefall c'est fou, je n'aurai qu'un mot, fantasmagorique, orgasmotitanic, giganticimesque, alucinogex ,enormicime, delirantex, chaotrique, fantasteque, majix

Babas arrêtez le pétard, venez dans l'icefall ! Cadres arrêtez repas d'affaires, whiskys et prozac, montez dans l'oxygène rare !

Je suis transporté par cette idée : je suis dans cette mythique icefall du non moins mythique Everest. J'en ai tellement rêvé et en pensant aux êtres chers, aux clients fidèles, aux potes alpinistes, il me vient souvent des larmes de joie. C'est comme une femme longtemps refusée qui s'offrirait, il y faut beaucoup de séduction, de patience et de chance. Je préfère la séduction à la conquête, oui c'est cela, nous allons tenter de séduire l'Everest. Pété aux endorphines (la morphine gratuite : on devrait interdire le sport !) je me chante doucement : "je me voyais déjà en haut de la déesse mère". Mais toute euphorie a ses chutes...

Le C1 se fait attendre, il est loin le bougre et le soleil cogne fort et les forces s'épuisent, puis tout bascule, la mécanique s'essouffle et je reste les yeux rivés sur le compteur : "ne pas dépasser 140 au pouls ! ". Ce pouls ne veut pas redescendre, même à la descente ! Je paye la dette d'oxygène.

J'ai un peu violenté cette bonne vieille carcasse, celle qui supporte depuis 62 ans le tyran qui la gouverne et qui s'est toujours montré à la hauteur de la situation. Carcasse c'est juré, l'heure de la sagesse arrive, plus que du bien pour toi pour toutes ces années de bons et loyaux services. C'est trop long en aller et retour, dommage après une acclimatation aussi bien commencée, la descente est interminable, la pompe ne veut pas se calmer et voilà la gorge et les bronches brûlées par cet air froid.

Paradis et enfer dans la même journée, c'est la dure condition de l'Homo alpinus.

 

M/D : 800m

Tps : 10h20 !

Pls : 94/132/151...125<9h<165 !

1h<125

 

J21 Jeudi 24/04/07

 

Balade dans l'ice fall

 

Ethique et toc…

 

Déjeuner à 6h, nous partons dès que nous sommes prêts. Objectif : parfaire l'acclimatation entre 5 et 6000m et familiariser Anne Garance avec les passages d'échelles. Devant le spectacle, elle est saisie des mêmes sentiments que moi la veille :"c'est hénaurme" s'exclame-t'elle. Nous grimpons jusqu'à 9h, franchissant au passage quelques remarquables échelles pour lesquelles AG n'éprouve aucune appréhension, puis décidons la descente à l'heure où l'icefall commence à chauffer sous le soleil. A ce propos, en très haute montagne, il y a 2 heures où il fait bon vivre : entre 9 et 11h ! Le reste du temps il fait trop chaud ou trop froid. Salut les masos... Mais c'est tellement beau !

Dans l'après midi nous préparons avec Ang Tsering, un des deux sherpas d'altitude, nourriture et charges pour les camps supérieurs.

Notre nourriture, les tentes, les réchauds, l'oxygène, etc. Tout est porté par les sherpas, nous ne transportons que nos affaires personnelles. Ca me change de pas mal d'expéditions où l'autonomie en altitude fut presque totale. Mais c'est à ce prix qu'ils peuvent vendre une montagne aussi difficile au plus grand nombre. Équipement total de la montagne et transport du matériel des Occidentaux plus ou moins fortunés qui viennent se mesurer à cette folle entreprise. Ils peuvent ainsi se partager un copieux gâteau : c'est l'Everest business...

J'entends d'ici les commentaires de cafistes en chemise à carreaux (ils les ont depuis longtemps jetées aux orties, mais c'est pour l'image) et autres parangons de vertu refaisant le monde de la montagne autour d'une bière au café de la poste, toujours prêts à donner des leçons d'intégrité quand leurs salaires tombent tous les mois.

Leur réaction peut sembler justifiée et nous restons tous attachés à une éthique de l'alpinisme que nous retrouvons dès que l'occasion s'en présente, mais, même dans ces conditions d'assistance, l'ascension de cette montagne reste un énorme dépassement de soi pour la majorité des personnes qui l'entreprennent. Et puis les montagnes sont nombreuses et il reste beaucoup de projets de par le monde en parfaite éthique pour les amateurs que nous sommes restés , et je n'ai pas vu beaucoup de puristes passer à côté des cordes fixes quand elles sont en place au delà de 5000 m.

 

M/D : 300m

Tps : 4h30

Pls :76/118/141

 

 

J22 Vendredi 25/04/08

 

CB (5350m) C1 (5980m)

 

Quand le corps se souvient…

 

Alors là les amis, aujourd'hui c'est la fête du guide ! Le monde à l'envers, la cliente attend et encourage le guide. Le guide est malade. Bronches en feu, jambes en coton, c'est comme si je n'avais qu'un poumon sur deux qui fonctionne et avec le soleil c'est l'enfer de l'icefall et à chaque instant je crois abandonner. Je paye au prix fort l'effort de 10h d'avant-hier où, piégé par mon enthousiasme, je suis allé trop loin et pourtant je le connais ce piège pour l'avoir expérimenté plusieurs fois... Grand enfant va !

En altitude l'air glacé nous entre directement dans les poumons d'autant plus qu'on est obligé d'augmenter les échanges respiratoires et cela débouche très vite sur une infection sinus gorge bronches.

C'est le piège classique et mon talon d'Achille la sphère ORL. Ce qui m'est déjà arrivé au trekking du Kangchenjunga en 2006 où j'ai cru abandonner. Heureusement grâce aux 2 infirmières qui m'ont prescrit le bon cocktail, je sais ce qu'il faut faire maintenant.

Arrivés au camp, Anne Garance se révèle une camarade de tente efficace et agréable, présentement j'en ai bien besoin.

 

 

M: 800m - 160m/h

Tps : 9h

Pls : 49/122/151

 

J23 Samedi 26/04/07

 

C1 (5980 m)

 

La haute altitude c'est gagner durement le devoir de ne rien faire…

 

Pression : 488mb on est passé sous les 500 !

Après la journée honte du guide c'est la nuit de la honte, mais là je ferai un fichier crypté pour les intimes, sachez qu'il s'intitule le slip kangourou à Muraillat (c'est mon voisin) ou : peut-on faire l'Everest sans culotte ? Bref, je vous laisse deviner...

 

 

Journée glandouille ! En altitude il est urgent de ne rien faire.

Journée repos, lecture (Terre de Feu de Coloane excellent), écriture, rares sorties de la tente pour satisfaire les besoins naturels. A ce propos j'ai fait l'impasse sur la gourde pipi par égard pour ma voisine de tente et je le regrette.

Le C1 est un village de tentes (150) avec une intense activité d'aller et venues, il est coincé dans cette étroite combe ouest entre les gigantesques parois de l'Everest et du Nuptse, la face du Lhotse ferme la combe et on y perçoit la suite de notre itinéraire, sur la gauche se profile l'arête de l'Everest du col sud au sommet sud.

Finalement, c'est une bonne solution de rester à ne rien faire une journée à la nouvelle haute altitude. Marquer des paliers d'acclimatation c'est le mieux, il faut en avoir la patience et le temps.

De plus le sommeil de la journée est plus réparateur.

Notre planning d'ascension s'improvise d'autant plus qu'aux dernières nouvelles nous allons vraiment être assignés à résidence au CB du 1er au 10 mai. Il faut exploiter au mieux cette première période en espérant que ses effets ne s'estompent pas trop en attendant que ces messieurs portent la flamme olympique là-haut.

Heureusement, ce soir c'est la renaissance, je sors peu à peu de l'abîme où je me débattais hier. Les remèdes de cheval que je m'administre n'y sont sûrement pas pour rien.

 

J24 Dimanche 27/04/08

 

C1 (5980m) -C2 (6350m)

 

Dans la vie il y a le ventre et ce qu'il y a au bout, à l'Everest il n'y a plus que le ventre (Chris Bonington)

 

A 6000m T°sous la tente à 2 : -9°

Pression : 483mb

Pouls mini mesuré : 56

Au matin les parois de la tente sont couvertes de givre et à chaque rafale de vent (il se lève à 3h et cesse à 17h) nous avons droit à une toilette rafraîchissante du visage, des particules de givre éjectées de la toile.

Mauvais sommeil pour Anne Garance pourtant nantie de capacités rares de ce côté-là, il faut du temps pour cette foutue acclimatation.

Le C2 est le pendant du C1 qui se trouve sous l'épaule de l'Everest. Il se trouve lui sous la gigantesque et sombre face ouest de l'Everest, 2500m de roche noire et délitée, d'immenses tours en ruine, des couloirs, des facettes glacées, tout un univers difficile à appréhender pour les infimes poussières que nous sommes à son pied. Cette face fut gravie en son temps par l'Anglais Chris Bonington et ses compagnons.

Pour se rendre au C2, on emprunte l'étroite combe ouest entre la face étincelante et métallique du Nuptse sur la droite et la face de fantasmagoriques structures de glace de l'épaule ouest de l'Everest sur la gauche. Il ne m'a jamais été donné de voir de telles couleurs et de telles formes. Alors là le minéral se surpasse !

Pour se rendre au C2 la dénivellation est raisonnable, mais la distance importante. Je m'applique à donner un rythme lent et régulier à AG qui souffre un peu aujourd'hui, en manque de glucides lents de nos repas du camp précédent.

Dans le long tête-à-tête que j'ai avec elle, je l'apprécie de plus en plus. Aussi peu bavards l'un que l'autre, les choses avancent doucement. Il faut dire que l'animation d'un groupe d'une personne pendant 64 jours c'est assez nouveau pour moi. J'apprécie son côté respectueux et responsable. Rien de tel qu'une bonne éducation bourgeoise, latin-grec, conservatoire et scoutisme pour faire des adultes qui tiennent la route. Je sais, ma pensée s'éloigne de plus en plus de celle de James Dean pour se rapprocher de celle du général de Gaulle, c'est parce que je suis entré depuis longtemps dans l'âge mur (celui qui précède l'âge pourri). Mais si je n'étais pas resté un peu rêveur et utopiste serais-je ici ? Oui, me direz-vous, je suis payé, mais aller à l'Everest est-ce la bonne façon de gagner tranquillement sa croûte ? A propos d'utopie, j'ai beaucoup aimé la phrase de Sepulveda en intro au bouquin de Coloane : " l'utopie n'a de valeur que par l'élan qu'elle éveille dans le cœur des hommes ".

 

Où en étais-je avant de digresser dans l'utopie ? Ah oui nous arrivons donc à ce fameux camp au milieu de glace et blocs de rocher, étrange, calé sous la face ouest qui nous domine de ses 2500m. Notre tactique va consister à en faire un camp de base avancé avec un peu de confort : chacun sa tente, tente cuisine avec cook qui prépare les repas, point de départ réconfortant pour le sommet.

Toutes les expéditions procèdent ainsi, c'est l'Everest business (une économie qui concerne 100.000 personnes, paraît-il)

 

Maïla notre cook, toujours le sourire jusqu'aux oreilles, nous attend et nous retape avec ses petits plats. Il a monté, comme demandé par radio, nos mots fléchés et ma sacro-sainte gourde pipi, avec la gourde pipi tu restes au lit, qu'il soit béni...

 

Pendant que sous la tente cuisine Maïla nous prodigue des soins quasi maternels, il me semble entendre ma langue maternelle cette fois-ci, chose si rare en ces lieux, je me déplace jusqu'à la tente voisine et je tombe sur Nadir, un Franco-Algérien du 93. Journaliste à FR3 perdu dans une expédition anglo-saxonne petit budget moins "assistée" que la nôtre, il souffre un peu, heureux de parler à un pays. Insolite et courageux le premier Algérien au sommet ? Qui sait...

Après la sieste réparatrice, petit tour dans le camp qui voisine avec d'immenses et fantasques formations glaciaires au soleil rasant, c'est extraordinaire.

Cette beauté singulière de la très haute montagne comme une belle musique nous touche au plus profond (à condition de ne pas être malade !)

Aujourd'hui encore ma joie est immense, le bonheur des cimes me fait le don de sa visite. C'est une sorte de joie enfantine.

"L'amour de la montagne chez un homme c'est l'enfance en lui qui ne veut pas mourir" Le seule petit souci c'est de ne pas pouvoir partager avec tous ceux qui, comme nous, ressentent l'émotion en ces lieux, et je pense à chaque fois au dessin de Samivel représentant quelqu'un qui contemple un paysage de montagne et se dit : " il faudra que je le dise à quelqu'un ".

 

Ecouté avant de dormir les suites pour luth de Bach. L'écoute au casque est plus précise. Pourtant écoutées et réécoutées, l'impression de redécouvrir à chaque fois cette géniale musique.

 

M : 388m - 180m/h

D : 40m

Tps : 4h 20

Pls : 41/101/131

 

J25 Lundi 28/04/08

 

C2 (6350 m)

 

T° sous la tente seul : -11° !

Pression : 462 mb

 

Le jeune Marius travaillant à l'année entendait le sabir (pour amateurs éclairés, il s'agit de marié et elle est double)

 

Le froid nous paralyse et nous affaiblit. Il va falloir compter avec lui et l'oxygène rare désormais, deux fortes puissances avec lesquelles composer. La règle : se débrouiller à éviter leurs agressions. On fait le siège de la montagne et nos armures modernes de plumes nous protègent des flammes froides qui nous agressent.

Aujourd'hui repos, globules, pas grand chose si ce n'est la visite insolite d'un militaire népalais parlant un sabir français avec un accent camerounais et portant un fusil à lunette faisant le tour des équipes pour bien montrer que la loi est présente.

 

 

J26 Mardi 29/04/08

 

C2 (6350m) CB (5300m)

 

Home sweet home

 

T° et Pression : les mêmes

Pouls mini au réveil : 61

Après réflexion, nous décidons une redescente au CB. 2 nuits à 6000 m et 2 nuits à 6350m devraient bien améliorer la polyglobulie (augmentation du nombre de globules rouges qui compense la baisse de pression d'air = acclimatation). Et une bonne cure de repos 1000m plus bas nous sera profitable, de toute manière, selon les dernières nouvelles, personne ne doit quitter le CB du 1er au 3/05.

Départ avec le soleil vers 8h30. Nous marchons régulièrement en prenant garde à ne pas nous essouffler. Il y a un trafic incroyable de sherpas et d'alpinistes en tout genre et c'est étrange de penser que cet endroit est resté pendant des millions d'années, par son inaccessibilité, un des plus sauvage de la planète.

Cette montagne est tellement hors de proportion que nous avons l'impression de découvrir les passages pourtant déjà parcourus plusieurs fois. Quelques échelles branlantes au dessus d'abîmes insondables réservent quelques moments de bravoure. Et nous revoilà au CB pour des vacances forcées, home sweet home, la tente douche est grandement appréciée.

 

 

 

M : 147m - 260m/h

D : 1143m - 520m/h

Tps : 4h45

Pls : 52/110/168

 

J27 Mercredi 30/04/08

 

CB (5300m) CB Pumori (5450m)

 

Pour téléphoner heureux, téléphonons caché...

 

T° -4° Pression : 533 mb

Ces lieux que l'on trouvaient durs à l'arrivée se révèlent vivables en comparaison de ce que nous avons connu plus haut... effet de l'adaptation.

Pouls pris pendant 1h au réveil : 47/61/104, effet de l'adaptation également.

Balade intéressante jusqu'au camp de base du Pumori. Il faut reprendre la direction de Gorashep et au sommet de la moraine (drapeaux), prendre sur la droite un court chemin raide qui mène à un replat surplombant un joli petit lac au pied de la face.

Je profite de la superbe planque que constitue cet endroit pour joindre Micheline au téléphone et je ne parviens pas à lui raconter autrement qu'en pleurant mon expérience de ces derniers jours. L'émotion me submerge, mais ce sont des larmes de joie.

Nous joignons ensuite Marc Lubin avec Anne Garance pour les nouvelles et les perspectives pour la suite. De toute façon nous devons attendre le feu vert des Chinois. Ils ont fait une tentative de flamme au sommet aujourd'hui, mais échec, trop de vent. Le routeur météo nous annonce -30°/-40° au sommet, mais cela va s'adoucir paraît-il !

 

M/D : 300m

Tps : 3h

Pouls : 66/104/140 2h50<125

 

J28 Jeudi 1/05/08

 

CB (5350m)

 

Mais quand vont-ils la déclarer leur flamme ?

 

Pouls relevé pendant 1h au réveil : 51/67/105

 

Grand calme ce matin. Une paix printanière enveloppe le camp. Les oiseaux ne s'y sont pas trompés qui célèbrent à leur façon cette douceur et commencent à songer à leur descendance. Caressons l'espoir que les conquérants de l'Empire du Milieu, de l'autre côté, profitent de ce calme pour mener leur projet à son terme.

Pas un bruit, c'est étrange, tout le monde semble attendre cloîtré dans sa tente. On s'installe pour une longue patience.

Malheureusement, au matin, les mauvaises nouvelles viennent brouiller notre joie, on nous annonce qu'ils n'ont toujours pas réussi...

 

 

J29 Vendredi 2/05/08

 

CB (5350m)

 

L'installation dans l'attente permet de redécouvrir les joies de la lecture au long cours, la journée sans interruption.

Essais de l'oxygène et tri de la nourriture, toujours rien côté chinois.

 

 

J30 Samedi 3/05/08

 

CB (5350m)

 

L'attente continue de la tente à la tente : tente chambre à coucher à tente salle à manger.

Dormir, manger, lire, penser, guitare, pratiquer l'art de l'attente.

Le temps a tourné, aujourd'hui il neige et Anne Garance a 36 ans, le bel âge.

Mon pavé de 600 pages de Mario Vargas Lliosa (Pérou) me donne bien du plaisir, mais il faut faire durer, ralentir le rythme.

 

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