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J31 Dimanche 4/05/08

 

CB (5350m)

 

De plus en plus souvent le ciel se dégage dans la nuit et les nuages montent très vite pour apporter la neige dès le début de l'après midi. Voilà qui n'arrange pas nos affaires et de l'autre côté non plus, cela n'évolue toujours pas. Quelques cm au CB peuvent donner beaucoup plus en altitude. L'attente continue donc à s'installer... C'est difficile, il faut beaucoup de patience, de philosophie et garder ses nerfs.

Fin des 600 pages de "La fête au bouc" un livre qui va figurer à mon panthéon personnel des meilleurs. Qui m'a permis une évasion qui dure, un grand livre, très fort. Ca va être dur de lui trouver un remplaçant, la bibliothèque s'appauvrit et l'attente s'allonge...

 

J32 Lundi 5/05/08

CB (5350m)

 

Presbytes, attention les yeux !

 

Ang Tsering descend à Gorashep et je me dégourdis les jambes sur une petite balade de 2h dans les blocs qui surplombent le CB. Ca fait du bien de prendre un peu de recul et de quitter cette tente où nous séjournons nuit et jour.

Tout d'abord sur la rive du glacier en direction de l'icefall, puis en remontant une pente de blocs, belles vues sur le camp et sur l'icefall.

 

Puis, dans l'après midi, une découverte pour les vieux obligés de porter des lunettes loupes : cela décuple l'effet du soleil et provoque des maux de tête. Les associer à des lunettes de soleil même sous la tente.

 

M/D : 172m - 240m/h

Tps : 2h

Pouls : 108/125/145

 

J33 Mardi 6/05/08

CB (5350m)

 

"Descendre c'est découdre tous les points où tu as mis tes pas… " (Nives Meroi)

 

Aujourd'hui encore, une courte escapade dans les amoncellements de blocs pour rejoindre le sommet de la moraine qui domine le camp.

Cette fois-ci, je contourne par la gauche et je découvre un cheminement dans une pente de gros blocs plus stables et moins dangereux que la moraine. Il faut quand même calculer chaque pas dans ce chaos gigantesque et prendre garde à éviter un surf intempestif sur un bloc de quelques tonnes qui se transformerait aisément en pressoir d'un pied, d'une jambe, voire de toute ma fragile personne.

On rejoint ainsi la belle arête de blocs verdâtres et stables qui domine le camp et dont je délaisse l'escalade pour aujourd'hui. Je me contente de rejoindre le sommet de la moraine, joli belvédère au dessus du camp (trace d'anciens drapeaux à prières)

J'aime ainsi tracer l'itinéraire à l'instar des pionniers, rechercher le passage, l'anticiper, évaluer sa difficulté, prévoir et contourner le danger, les sens en éveil à l'écoute des signes de ce monde muet, de cet environnement puissant. Guide aux origines.

Un avion a zébré le ciel pendant quelques temps. Est-ce un signe ? Ont-ils enfin monté leur foutue flamme au sommet ou continuent-ils à tirer leur flemme ?

De toute façon, c'est décidé, après-demain (le 08/05) nous bougeons d'ici, objectif C2 !

Bonheur de la douche au CB. Je retrouve un corps aminci, malgré la nourriture abondante de nos cooks, libéré des quelques lourdeurs occidentales.

Terminé le récit à 2 voix des ascensions de Nives Meroi, une Italienne qui réalise les 8000 en style alpin avec son compagnon : ni oxygène ni porteurs. Chapeau !

L'écrivain (Erri de Luca) qui fait l'autre voix, assez fumeux et verbeux, me fatigue un peu (on est exigeant quand on sort de la lecture d'un chef-d'oeuvre).

Nives a quelques réflexions intéressantes qui sentent le vécu, exprimées de façon originale :

"Bien sûr, je le dis pour la bonne règle, un sommet atteint ne suffit pas. Il faut le redescendre avec la fatigue à son comble, la sensation de vide que te donne l'arrivée là-haut. Descendre, c'est défaire la montée, découdre tous les points où tu as mis tes pas. Bien des alpinistes restent dans le piège du décousu, bien des accidents arrivent à la descente."

Et : "Ici tu ne dois penser qu'à la montagne, tu ne dois pas porter d'autre poids que celui de ton sac. C'est un endroit qui exige tout, tu dois laisser ton mauvais temps dans la vallée, il y en a déjà assez ici. Toutes les pensées et les efforts sont absorbés par l'horrible tâche que nous nous sommes donnée, escalader cette grosse bête. C'est un lieu insatiable, il veut tout et souvent ça ne suffit même pas." Nives Meroi .

Au dîner, Ang Tsering nous apporte les dernières nouvelles : Les Chinois n'ont toujours pas réussi à monter la flamme, trop de vent de l'autre côté. Et en ce qui nous concerne, nous monterons au C2 le 9, repos le 10 et C3 (dormir ou aller retour) le 11, retour au CB le 13, repos le 14 et première tentative à partir du 15, tel est le plan que nous avons établi. Ce qui aura quand même fait 10 jours d'attente au CB !

 

 

M/D :170m-300m/h

Tps : 1h42

Puls : 102/125/142

 

J34 Mercredi 7/05/08

 

CB (5350m)

 

T° sous la tente : -6° -7° pendant la nuit.

J'avais l'impression qu'il faisait moins froid que quand nous sommes arrivés, il n'en est rien. C'est la preuve, que j'avais déjà constaté, que la réaction au froid doit faire partie des critères d'adaptation.

Pouls pris sur 1h13 en fin de nuit : 52/83/103

L'attente se prolonge... Lessive, guitare, lecture. Les premières heures du matin sont confortables et puis très vite il fait trop chaud dans la tente et vent et soleil nous agressent dehors. Et nous recherchons les endroits de bien-être.

Quand on pense que le CB nous semblera un endroit idyllique quand nous serons là-haut !

 

J35 Jeudi 8/05/08

CB (5350m)

 

Chine...toc

 

D'après les renseignements que nous avons, les Chinois devraient refaire une tentative aujourd'hui; de toute façon nous montons demain au C2 et à partir du 10 l'interdiction est levée... Ca commençait à faire un peu long, 9 jours sur un CB sans bouger.

Un peu d'action enfin !

Grand plaisir d'une dernière douche chaude à 5300m et pendant celle-ci - un bonheur n'arrive jamais seul - dernières infos (Source radio népalaise)...

Ca y est ! Grande nouvelle : les Chinois ont monté la fameuse flamme au sommet. Ce matin 18/05/08 à 7h15. Enfin ! Ces gros malins ont fait porter la flamme par des femmes alpinistes tibétaines... Politique quand tu nous tiens.

Préparation du sac qui promet d'être volumineux et lourd. Perdu une bonne partie de la journée à essayer de comprendre pourquoi ma frontale ne fonctionne pas avec les piles "energizer" et seulement avec mes batteries rechargeables, ce qui me conduit à monter le panneau solaire là-haut... Le sac va avoisiner les 12/15 kg, les épaules seront douloureuses !

Dans la soirée, nouvelle tentative pour se connecter à Internet avec le téléphone satellite, de nouveau infructueuse, de plus, le bouquet, l'ordinateur d'Anne Garance refuse de démarrer et le disque dur émet un bruit bizarre comme s'il n'arrivait pas à tourner. Marc Lubin a eu Chadourne, le technicien de TDCOM à Paris et pour mon problème de carte SIM, que des réponses évasives. Je pense depuis le début qu'ils ne sont pas vraiment compétents, en tout cas qu'ils manquent à tout le moins du minimum de conscience professionnelle. Je vais en être pour mes frais, j'espère simplement que mon portable fonctionnera à mon retour en France !

 

J36 Vendredi 9/05/08

CB (5350m) C2 ­(6350m)

 

Comme un poisson hors du bocal

 

Sat : 99 % en général entre 85 et 99

Lever 6h30 départ 5h.

13h30 d'effort entre 5000 et 6000 ! Cette montagne bafoue toutes les règles élémentaires de l'acclimatation. En effet : CB-C1 800/900m dans un terrain fatiguant et si l'on fait CB-C2 1180m ! C2-C3 600/700m, arrivée au dessus de 7000m. C3-C4, 1000m arrivée à 8000m.

C4-sommet 800/900m, arrivée à 8850m !

 

Au départ tout va bien, je constate que l'acclimatation permet un pouls plus élevé avec une respiration moins rapide et évite cette sensation d'étouffement : le poisson hors du bocal. Aujourd'hui c'est Anne Garance qui est dans ce cas là... Elle a attrapé la crève, se trouve sans force et se demande si elle va y arriver. Il faut dire que l'icefall demande beaucoup d'énergie, surtout après que le soleil est levé, on est dans l'enfer blanc, on a besoin de toute sa respiration, de tous ses globules pour affronter échelles, montées, descentes, cordes et désert brûlant.

 

Aux dernières échelles verticales, AG craque un peu, à la radio j'arrive à joindre nos sherpas pour demander assistance, que l'un d'eux viennent à notre rencontre pour porter son sac.

Nous mangeons un morceau et je lui donne 2 solupred qui vont lui permettre de tenir le coup jusqu'au C2. En effet c'est interminable ! Et je me demande si elle a encore assez de force alors que nous ne sommes pas encore au C1. Heureusement, Nima, l'autre sherpa, nous rejoint et peut prendre son sac. Nouveau point radio au C1 et nous décidons de continuer l'interminable route jusqu'au C2 sous la neige avec une trace qui s'efface. Je donne le rythme le plus régulier possible à AG, mais c'est interminable ! C'est vraiment trop long ! A la fin, Ang Tsering vient à notre rencontre avec une boisson chaude et se propose de porter mon sac. La combe ouest en touriste pour le petit bout qui reste, ça ne se refuse pas.

Cela n'arrange pas les sherpas de maintenir un C1, mais 13h d'effort à des altitudes pareilles cela puise sur les réserves. A mon goût, ce n'est pas à conseiller pour une acclimatation réussie.

Il ne faudrait pas dépasser 8/10h d'effort au-delà de 5000m et ne pas faire monter le pouls au-delà de 135/140 (pour moi 62 ans)

 

Pendant le dîner, Anne Garance repère une bouteille plastique et me demande de la couper. Ca y est, elle a craqué, nouvelle adepte de la gourde pipi; quand je pense que j'ai eu des pudeurs au début à emporter la mienne.

Eh les filles ! En expédition, mettez-vous donc à la gourde américaine à goulot de 10 cm, garante de confort.

Le soir, après cet effort énorme de la journée, je retrouve, pour m'endormi, ce que j'appelle la dette d'O2, très désagréable : on commence à s'endormir et le manque de débit par le nez vous réveille avec la sensation d'étouffer, quelques respirations accélérées et on retrouve le calme, nouvel endormissement, nouveau réveil, etc. C'est très pénible et angoissant, il faut 2 à 3h pour trouver enfin le vrai sommeil.

 

 

 

M : 1189m - 90m/h

D : 170m

Tps :13h24 Puls :96/129/153 2h42<125

 

J37 Samedi 10/05/08

 

C2 (6350m) Repos

 

En haute altitude il est urgent de ne rien faire …

 

Glandouille à 6300m. Aux bons soins de Maïla (notre cook du C2) qui nous mitonne des petits plats avec les moyens du bord, chef d'un des plus hauts restaurant qu'on puisse imaginer. Cela dit, l'endroit reste assez invivable : on gèle sous la tente la nuit (-12°C) et on y rôtit la journée (+30°C), lunettes de soleil et casquette pour se protéger du soleil qui brûle à travers la toile, tenue ultra légère de rigueur. Les heures du lever et du coucher de monseigneur l'astre solaire restent très agréables.

Aujourd'hui, les sherpas de tous les groupes sont montés équiper et installer le C3. Il y a 4 étages de tentes sur le sérac peu tourmenté, qui réserve quelques plates-formes et qui se trouve sous le sommet du Lhotse, à droite du large couloir qui descend du col sud. Il faut ensuite traverser pour atteindre la bande de rochers jaunes et traverser encore l'eperon des genevois pour atteindre le col sud.

 

J38 Dimanche 11/05/08

 

C2 (6300m) C3 (6940m) pression : 424mb !

 

A forte responsabilité fort pouvoir de décision

 

Ça a toujours été mon credo. Avec les agences où il a toujours été clair que le guide souverain ne doit céder à aucune pression, car il reste le seul responsable devant la loi.

Pourquoi parlais-je de ça ? C'est à cause du sherpa le plus responsable, Ang Tsering, qui aurait tendance à faire un peu le programme à sa sauce, la sauce sherpa. Mais bourrés de globules comme ils le sont, ils ont tendance à perdre le sens de la réalité des efforts en haute altitude et à nous parler de plans irréalisables. Je reste le chef d'expédition et c'est vers moi que l'on se tournera dans tous les cas comme responsable. Donc garder son pouvoir de décision. Ça tombe bien, Anne Garance me suit complètement là-dessus.

J'ai constaté aussi que, comme chez nous, les plus nantis (les sherpas d'altitude sont les mieux payés) deviennent vite les plus revendicatifs et prenant la "grosse tête de l'Everest" ils perdraient leur légendaire sens du service. Mais n'exagérons rien, nous avons une équipe conforme à ce que j'ai pu connaître auparavant, les cooks sont des crèmes et l'autre sherpa Nima très timide est également très serviable. Et il est normal au fond que l'Everest soit un cas à part.

Parlons-en justement ! Aujourd'hui grand jour, on affronte la célèbre face du Lhotse. Notre tente parmi les plus basses paraît toute proche, mais je sais que c'est trompeur, puisqu'elle est quasi à 7000m.

Réveil à 4h45, départ 6h. Nous traversons longuement le haut du C2 qui s'étire sur une grande distance pour rejoindre le plateau qui mène au pied de la face du Lhotse où nous attend une pente raide équipée de cordes fixes. Sur ce plateau il y a un monde fou, une foule cosmopolite et bariolée qui marche vite, trop vite pour l'altitude, ce qui me fait penser qu'ils ne semblent pas avoir une grande expérience de l'himalayisme ou peut-être sont-ils très forts. En tout cas, ils sont soit sans sac accompagnés d'un sherpa soit avec des petits sacs.

Nous fixons nos poignées d'ascension sur la première corde et commençons à gravir la pente raide (35/40°) et en glace vive, il est presque impossible de poser le pied à plat et les pointes glissent sur la glace bleue, ce qui rend la chose encore plus physique vue l'altitude et le poids du sac. Il faut jongler avec les personnes qui descendent pour ne pas se trouver sur la même corde en même temps; à ce propos, je pense que la surfréquentation à l'Everest doit être considérée comme un risque objectif (queues au ressaut Hillary, chutes de pierres, de glace, avec des personnes pas toujours au fait des techniques de l'alpinisme) en tout cas c'est assez folklo sur ces cordes.

Nous n'avions pas fait 30m que passe une première pierre de la grosseur d'un kilo de sucre au-dessus de nos têtes et fort près des têtes casquées d'un couple qui nous surplombe, suivie d'assez près d'un deuxième pierre du volume de 10 kg de sucre ! Pour le couple c'est 1/2 tour et pour moi le premier stress passé et la première envie de renoncer dépassée, je me laisse le temps de la réflexion. Nous sommes à l'abri sous un mur de glace. J'essaie d'obtenir des renseignements de ceux arrivant du haut (d'où viennent ces pierres, si c'est anecdotique ou systématique). Un Népalais nous donne la méthode : c'est vrai, c'est dangereux, mais il faut monter en regardant vers le haut pour se déplacer rapidement à chaque pierre qui descend (en criant olé ?)

Finalement, après un moment d'attente, ne voyant pas de nouveaux projectiles inquiétants fendre les airs, je décide la montée. Nous en verrons deux ou trois autres (pierres) dont une nous évitant a raté de peu un groupe d'Américains.

Ensuite, ça n'a été qu'effort en altitude, attention à ne pas se mettre dans le rouge, placer les pieds, pas facile dans cette glace vive, pas trop tirer sur les bras, se reposer sur sa poignée jumar et ces tentes qui n'arrivent pas et cette neige et ce brouillard qui eux arrivent.

Anne Garance remarquable de volonté et de courage dans cette montée raide et gelée avec un sac dépassant les 12 kg sur les épaules. Bravo à elle.

 

Ça rapproche de souffrir de concert, elle m'a même proposé de partager ma gourde pipi, tente commune, gourde commune, mais jusqu'où iront-ils !

 

 

M : 723m - 150m/h

D : 78m-220m/h

Tps : 9h40

Puls : 63/133/165 . 125<8h10<165 1h26<125

 

J39 Lundi 12/05/08

 

C3 (6945m) C2 (6300m)

 

Mais que diantre allaient-ils faire dans cette galère ?

 

Au matin, de fortes rafales de vent secouent la tente, donnant la désagréable impression qu'elle va s'arracher à tout instant . La première tentative pour faire de l'eau chaude s'avère infructueuse, les réchauds sont couverts de neige, l'abside est envahie par le vent et les briquets refusent de s'allumer !... Patience. ..

Tout est gelé à l'intérieur et à l'extérieur de la tente, obligé de rentrer les réchauds pour faire l'eau chaude...opération délicate !

A 9h45 nous quittons notre abri de toile secouée, pour rejoindre les cordes fixes encombrées de touristes, d'alpinistes, de sherpas, la foule des chalands qui, comme nous, font tourner l'Everest business.

La descente en rappel ou téléphérique (petite glissade et frayeur pour AG sur la fin) face à la pente nous oblige à slalomer d'une corde à l'autre, mais s'avère assez rapide et nous avons rejoint le C2 en 2h. Au C2, Maïla, la fée du logis, a trouvé le moyen de nous faire une tartiflette avec ce qu'il avait sous la main. Nous avons passé la nuit sans oxygène ce qui nous fait classer par nos sherpas dans la catégorie des "I-strong". La météo semble mauvaise pour ces prochains jours, mais, suite à une après-midi neigeuse, le ciel est pur ce soir...

Sous la tente, dans le confort retrouvé du C2, chandelles et Mozart pour inspirer l'écriture... Très grand siècle, un peu de douceur dans ce monde brutal...

 

 

 

J40 Mardi 13/05/08

 

C2(6300m)CB (5300)

 

Ça doit être bien d'être de quelque part, d'en partir et puis d'y revenir, quand on est de nulle part (François Béranger)

 

Aujourd'hui, retour au bercail : sweet camp de base, sa douche chaude, sa guitare et ses 5300m devenus respirables.

Micheline, que j'ai au téléphone régulièrement (merci satellite), me transmet les messages de soutien, famille, amis, clients, ça réchauffe le cœur en ces lieux d'austérité.

Une cascade de glace bien calme aujourd'hui -nous sommes seuls et étonnés de l'être- dans un temps mitigé, mais pas le méchant mauvais annoncé. En 4h15 nous sommes à nouveau dans ce qui commence à ressembler à des habitudes.

 

J41 Mercredi 14/05/08

 

CB (5350m)

 

La météo est une science approximative qui tente de prévoir le mouvement des masses d'air.

 

Ce matin ciel dégagé contrairement aux prévisions.

Je regarde le programme à venir avec Ang Tsering, nous prévoyons le sommet aux alentours du 20/21. A la suite d'un coup de fil à Marc Lubin, notre routeur météo prévoit un changement de temps les 19 et 20 avec plus de neige. Ça tombe mal... Nous referons un point météo vendredi...

Derniers préparatifs, test des bouteilles d'O2, détendeurs et masques des sherpas qui doivent monter demain (15/05) au C2 pour équiper ensuite le col sud...

Chaque bouteille contient 4 l d'O2 et pèse 4 kg pleine, elle mesure 60 cm de long. Il faut visser le détendeur réglé à 0,5 l, à fond, on peut ensuite régler le débit de 0,5 à 4 l, le manomètre indique la quantité restante. Nous sommes censés l'utiliser à partir du C3 et les sherpas à partir du C4. Il est certain qu'avec une telle rapidité d'ascension à partir de 7000m - on enchaîne quasiment les 1800m jusqu'à 8800 avec un petit repos au col sud - il est impossible de se passer d'O2.

Dans l'après-midi, je reçois la visite de Jangbu, mon sherpa de l'Himlung Himal avec qui nous avons échappé au pire en 2005. Il va monter pour la 4ème fois à l'Everest avec des Danois. Son CV s'est encore allongé, il ne lui manque plus que quatre 8000m. Il me raconte l'accident qu'ils ont eu au Thorong Peak où Tom Nikles a laissé la vie l'année suivante. Les meilleurs se font avoir sur l'habitude et l'anodin, comme toujours.

 

 

J42 Jeudi 15/05/08

 

CB (5350m)

 

Attendre, calmement attendre, faire le siège, ça peut être une tactique de séduction...

 

Temps très nuageux avec peu de précipitations. Les deux sherpas sont montés au C2. Ils doivent équiper le col sud demain. Quelle météo ?

Après le dîner, nous jouons au yatze avec AG qui a de longues années de pratique avec sa grand-mère ! L'ambiance monte très vite et, attirés par les cris, le cook et le kitchen rappliquent... Ce sont des passionnés de jeu et ils comprennent de suite la règle. Cela laisse augurer de beaux tournois en perspective à notre retour!

Je réalise 4 yams dans la soirée ! Michelliiiiiine ! Que fais-tu ?...

 

J43 Vendredi 16/05/08

 

CB (5350m)

 

La veillée d'armes des lavanturières (Lavandières aventureuses) et revendications d'un membre de la CSN (confédération des Sherpas nécessiteux)

 

 

Dernière lessive, dernière douche, nous profitons du soleil avan t d'affronter sérieusement le troisième pôle où là, ça rigole plus ! La vie n'y est plus admise, seuls quelques oiseaux et quelques couillons dans mon genre déguisés en cosmonautes ont le toupet d'affronter la... attention roulement de tambours... "zone de la mort". Brrr... Ça fait froid dans le dos !

Après le lunch, j'ai droit au discours d'un sherpa de passage qui m'a rappelé ce que j'évoquais plus avant. Nous n'aurions qu'à suivre, ce sont les sherpas qui font tout. J'aurais pu le renvoyer dans ses cordes en lui rappelant que des cordes justement j'en posais, alors qu'il tétait encore sa mère, je lui ai juste rappelé que c'était un bon business pour les Népalais, mais il ne semblait pas convaincu.

Il embraye sur le discours de caste insatisfaite à qui tout est dû... Décidément l'argent pourrit tout, je ne trouve plus là les qualités qui me plaisent tant chez les Népalais : honnêteté, humilité, humanité. Le comble, j'apprends par le cook qu'il n'a pas participé à la préparation de la montagne et qu'il est resté sirdar au Camp de Base. Décidément on a les mêmes chez nous... Dommage.

 

J44 Samedi 17/05/08

 

CB (5300m) C2 (6350m)

 

Le chaos c'est long surtout vers la fin

 

Du camp de base au Camp 1, je persiste et signe, c'est trop long !

1100m de dénivelé entre 5000 et 6000 avec un terrain technique irrégulier (pentes raides, blocs de glace, crevasse, sauts, échelles) c'est forcement épuisant à la longue. Ang Tsering a beau dire que tout le monde fait comme ça... Et à nous citer les performances de tel ou tel... Et qu'il faut être capable de faire ça dans de bonnes conditions pour prétendre au sommet.

Il faut 8h pour un alpiniste "normal" pour rejoindre le camp 1 et 4h supplémentaires pour le C2. Cela manque de progression pour une acclimatation "soft". On ajoute à ça l'artifice de l'oxygène et ça fait un peu forcing, bon ni pour le corps ni pour l'esprit. Ça arrange surtout les sherpas de ne pas avoir à laisser en place et démonter un camp supplémentaire. Et à ses réflexions j'ai l'impression que Ang Tsering est un peu pressé d'en finir. Cela dit, ils font des efforts colossaux : aujourd'hui ils montent pour la deuxième fois au C4 (8000m) en aller retour pour équiper (tente, nourriture, oxygène, réchauds) 1700m entre 6300 et 8000 dans la journée sans oxygène, c'est assez énorme et c'est très rapide, cela sera la 3ème fois pour le sommet.

Nous avons beaucoup attendu au CB et maintenant cela se précipite. La faute aux Chinois certes, mais quand même, je découvre là une stratégie d'expédition un peu inhabituelle et brutale. Il est vrai que l'Everest est une exception, on l'a déjà dit.

Mais revenons à notre journée du samedi 17/05.

Réveil 3h30 départ 4h45. Nous marchons bien régulièrement dans cette interminable icefall avant qu'elle ne soit chauffée par le soleil. Je constate une meilleure acclimatation avec des pouls très bas et pas d'essoufflement, c'est jouissif, plus de peur, plus d'angoisse, le corps répond bien, plus cette sensation d'étouffer si vitale. Anne Garance aussi se sent bien et marche régulièrement et sans fatigue. Nous sommes à midi au sommet des dernières échelles verticales où nous cassons la croûte et à 13h au camp 1. C'est là qu'Anne Garance se retrouve soudainement sans forces (la limite des 8h d'effort).

Je lance un SOS à la radio vers le camp 2. Maila le cuisinier sauveur vient à notre rencontre avec boisson et sans sac pour prendre celui d'Anne Garance dans cet interminable plat montant qui mène au C2.

Le soir, manque d'appétit et sommeil perturbé montrent que l'effort fut trop copieux.

 

M :1096m - 150m/h

D :67m

Tps :12h18

Pls : 42/118/145

 

J45 Dimanche 18/05/08

 

C2 (6350m)

 

Le péril jaune est en marche

 

Le soleil se fait attendre et le froid engourdit tout. Je jette un coup d'oeil par l'ouverture de la tente, on voit les minuscules tentes sur cette face du Lhotse, la trace pleine de fourmis laborieuses que nous serons demain qui va au col sud, et la trace qui bifurque vers le sommet du Lhotse - il a été gravi hier paraît-il - c'est beau, même si c'est dur.

A 15/16h nos sherpas, partis à 4h, reviennent du col sud. Nima s'est senti mal et ils n'ont pas monté la tente au col sud, ils l'ont laissée au C3. Ils la monteront après-demain quand nous rejoindrons ensemble le col sud, le hic c'est que après-demain c'est le 20 et que la mauvaise météo semble confirmée par d'autres sources...

La mousson montrerait-elle le bout de son nez ? Bloody chinetoques qui nous ont mis en retard ! Le péril jaune redevient d'actualité.

Le dernier bulletin météo de notre routeur français Thomas, par l'intermédiaire d'un message de Jacqueline Lubin sur le téléphone satellite, est en complète contradiction avec les précédents, la fenêtre serait les 20 et 21, les dates mêmes où était prévue la neige !

C'est bien les météos qui s'annulent, finalement nous ne tenons compte de rien et suivons le programme fixé.

 

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